Les fourneaux de Rikrit

Tiravanija, l'artiste qui transforme les musées en cuisines contemporaines

Spaghetti pad thaï, riz au curry, ramen, légumes sautés et thé. Table dressée, ambiance conviviale. Ceci n’est pas la présentation du restaurant dernier cri, spécialisé dans la cuisine asiatique, mais les ingrédients à la base des œuvres d'art de Rirkrit Tiravanija. Car ces délices orientaux sont bien préparés directement par l’artiste à l’intérieur de musées et galeries d’art, transformés pour l'occasion en cuisines temporaires. Et ce n'est pas l'acte en soi qui est artistique mais l'objectif : créer une interaction entre les personnes,  faire participer le public à l’œuvre elle-même grâce à la nourriture.

L’artiste cosmopolite Tiravanija, thaïlandais né à Buenos Aires mais qui s’est formé artistiquement à New York, a exposé, durant sa longue carrière, un peu partout dans le monde : à Londres, à Paris, au MoMA de New York, à Vienne, aux Biennales de Venise et de São Paulo. Il est l’un des représentants majeurs de ce que le critique français Nicolas Bourriaud a défini, à la fin des années quatre-vingt dix, l’ « Art relationnel ». Un mouvement artistique qui repose sur les relations humaines et leur contexte social, où l’interactivité, la socialisation et la convivialité sont les éléments clés de l’œuvre d’art, conçue et réalisée pour être vécue directement par le public lui-même.

Rirkrit Tiravanija créé, de fait, des situations artistiques où il n’existe aucun mur entre l’œuvre et le public : lebanquet est ouvert à tout le monde, aux différentes personnes et cultures, et il est rigoureusement gratuit. Et pour le chef-artiste, l'occasion d’entrer en relation intime avec ses invités est la principale gratification. Dès les années quatre-vingt dix, dans une galerie de New York à Soho – expérience qu’il a ensuite répétée au MoMA – Rikrit a aménagé une cuisine improvisée (frigidaire, plaque de cuisson, casseroles et couverts), il s’est mis aux fourneaux et a offert du pad thaï, des ramen et du riz à ses visiteurs cosmopolites.

Manger, parler, se détendre : l’art de Tiravanija n’est pas autre chose que cela. Ses installations sont des «plateformes pour partager» qui, par opposition à l’aliénation et à l’homologation de notre société contemporaine, créent un moment de rencontre dans un cadre institutionnel destiné traditionnellement à d'autres fonctions, comme justement un musée.

L’intégration réussie entre la tradition et la créativité est également un aspect caractéristique des performances gastronomiques de Tiravanija. Les portes sont ainsi ouvertes à l’expérimentation et à l'hybridation. Comme à Stockholm, où il s’est  lancé dans la préparation du plat local traditionnel par excellence, les boulettes. Ingrédient spécial, mais surtout inattendu pour le palais, le curry thaïlandais. Avec son arôme épicé et piquant, le curry a apporté un goût inédit à la boulette classique, tout en fournissant un sujet de conversation ultérieur autour de la table. Pour Tiravanija, le goût  est identitaire et cuisiner est une façon de se sentir chez soi, partout. Le public se trouve ainsi toujours au centre de ce cercle vertueux de nutrition, de surprise et de participation.

A propos de surprises : à l'une des éditions du festival d'architecture de Glasgow, l'artiste a réalisé l’installation «Community cinema for a quiet intersection» en plaçant un cinéma au centre de la ville, et en bloquant ainsi la circulation avec quatre écrans géants et un café Thaï. Les projections ont ainsi été accompagnées de plats thaïlandais, rigoureusement préparés et offerts par Rirkrit, tandis que les habitants du quartier étaient interrogés sur leurs goûts cinématographiques. Les films « Casablanca », « La vie est belle », « 1001 pattes », « Le livre de la jungle » ont été les plus plébiscités. Hollywood et la Thaïlande en plein milieu de Glasgow: l'art comme la vie qui suit son cours autour des performances,  l’art accessible à tout le monde, dans des espaces « volés » et temporairement soustraits aux fonctions quotidiennes habituelles. La veine créatrice de Rikrit qui, bien avant les tendances avait compris l’importance de la nourriture dans notre vie sociale et culturelle, est arrivée jusqu’à nos jours.

En 2015, pour Art Basel, il a réalisé l'installation « Do we dream under the same sky » («rêvons-nous sous le même ciel»), une cabane géante de bambou et d'acier , alimentée par énergie solaire, avec un jardin d’herbes aromatiques, une cuisine, une partie commune avec salle à manger et espace de rencontre. Des mets thaïlandais, comme toujours sans menu ou liste de prix, étaient offerts au public en échange d’une petite contribution (facultative naturellement) : un don ou la participation aux activités de préparation des repas ou de service aux autres visiteurs. Le message que l’artiste veut faire passer dans chacun des espaces d’échange culturel qu’il a créé à travers le monde est immanquablement le respect d’un esprit communautaire : message qui incarne, entre autres, l’âme de la tradition thaïlandaise, où la nourriture et l’acte de manger sont essentiellement une façon de partager.

L'installation représente idéalement le prolongement du projet « The Land » réalisé par  Tiravanija avec l’artiste thaïlandais Kamin Lertchaiprasert près de Chiang Mai, en Thaïlande : une communauté artistique autosuffisante qui s’inspire d’un modèle écologique et durable pour l’avenir, conçu comme un espace ouvert, sans liens et limites de propriété, où n'importe qui peut se rendre pour cultiver du riz, entrer en relation avec d’autres invités, développer des idées de projet, mais surtout, expérimenter directement l'autonomie durable. Ainsi, Rirkrit Tiravanija annule la distance entre l’art et la vie et il actualise ses incursions artistiques avec les thèmes clés de l'art contemporain.

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